“Cécile” ou la performance d’une inconnue au cœur de l’humanité au Théâtre de la Bastille
Durant plus de trois heures, Cécile Laporte confie sa vie aux spectateurs dans une relation à l’intimité brute et sans fard, avec humour et générosité. Marion Duval, metteuse en scène et amie de l’interprète, souhaitait une vraie rencontre et non la présentation d’un spectacle prêt à consommer. Voici une performance à l’humanité joyeuse, qui prend la forme directe d’un cabaret irrévérencieux et salutaire.
Une activiste à l’humanité débordante
Qui est-elle, cette longue actrice assise comme une gamine sur un tabouret, face à nous mais dos à un écran blanc ? Une inconnue du grand public, nous confie son amie et metteuse en scène Marion Duval, venue pour introduire le spectacle. Les lumières sont allumées dans la salle et d’emblée le rapport avec les spectateurs se mue en dialogue complice. « Je fais fleurir les gens » nous confie cette grande fille blonde qui paraît se moquer de l’apparence et avance sans filtre. “Calamity Jane”, nous répond elle en citant son nom de clown. Car c’est un clown, Cécile, qui fait partie du Rire médecin, ce bataillon d’artistes qui débarque dans les chambres d’hôpitaux pour faire rire les enfants atteints de graves maladies ou en soins palliatifs. La hiérarchie entre infirmières et médecins, elle la fait exploser en douceur, lorsqu’elle bouscule sans crier gare un interne en faisant le chien. C’est qu’elle bouscule tout, cette femme enfant grandie trop vite, dont le seul souci vital est d’apporter des ressources de bonheur et d’humanité à un monde qui souffre.
Comment rire avec la mort ?
Rire avec les enfants qui se meurent, avec un groupe de handicapés réunis ensemble pour fêter la fin de l’année, rire du cancer et de l’institution psychiatrique qui vous embarque alors que vous proposez d’y créer une comédie musicale, c’est un peu la spécialité de cette activiste au grand cœur qui refuse la fatalité du malheur et de la tristesse. Alors elle va nous raconter sa vie, ses aventures folles, ses folies et ses angoisses. Quand à vingt ans, elle se retrouve seule, le permis tout juste en poche, à conduire dans les Pyrénées un groupe de handicapés, sans aucune expérience, et qu’elle s’en sort haut la main en nous racontant des scènes d’anthologie avec photos à l’appui, c’est irrésistible. On la croit, preuve à l’appui, il y a les photos, mais bien sûr c’est du théâtre et elle va nous séduire. Elle fait le clown, et c’est sans doute la scène de clown, plaquée et trop longue, qui est de trop dans le spectacle. On la retrouve dans les services d’oncologie, puis dans la ZAD de Notre Dame des Landes, les bottes dans la boue, plongeant nue comme d’autres sudistes pour contrer les CRS ébahis de stupeur.
“Fuck for Forest”
L’aventure avec Calamity Cécile n’est jamais terminée et s’égrène en une dizaine de moments. En Suisse, on la retrouve dans un collectif de militants écologistes qui créent un site amateur de vidéos pornographiques, Fuck for Forest, pour financer la reforestation en Amérique du Sud. Même pas peur, ni du sexe, ni des hommes, la voilà qui se déshabille, demande une culotte au public, le contourne pour se retrouver à l’horizontale, faisant la planche, presque nue, portée par la vague des spectateurs jusqu’à la scène. A l’hôpital psychiatrique, Cécile s’imagine déjà en star de comédie musicale, mais elle n’apprécie par que deux infirmiers la ceinturent. Sur scène, des marionnettes géantes (Séverine Besson) transforment le rituel de l’hôpital psychiatrique en crucifixion mexicaine, des jeux sur l’espace et les rapports de pouvoir, créés par Marion Duval et Luca Depietri (KKuK), jettent l’héroïne dans un monde où comme Don Quichotte elle va se battre contre tous les moulins de l’oppression et du pouvoir. Une belle forme de liberté.
Hélène Kuttner
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